" A genoux au nom du Maréchal " !


Rédigé par Denise Péricard-Méa le 11 Novembre 2015 modifié le 21 Aout 2018
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Depuis 1934, Compostelle avait été utilisée comme lieu de rencontre entre catholiques français et espagnols qui souhaitaient maintenir des liens et par la diplomatie française comme lieu de propagande en faveur de la France. Le 25 août 1943, (1943 était une année sainte) l’ambassadeur de France à Madrid fit un pèlerinage pour le compte du maréchal Pétain. Les archives du ministère des Affaires étrangères en donnent le récit.



Les préparatifs

Ce pèlerinage est évoqué dès le mois d’avril 1943 par l’ambassadeur et le recteur de Saint-Louis des Français à Madrid. L'ambassadeur confirme son intention dans une lettre du 30 juillet.

« Ainsi que je vous l’ai déjà verbalement indiqué j’aurais l’intention d’organiser une petite manifestation française, le 25 août prochain, jour de la fête de Saint Louis, à Santiago de Compostelle, ce qui serait pour nous une façon d’honorer l’année sainte en y associant, du même coup, notre pays, sous le signe du plus vénéré et du plus populaire de ses rois. Le programme, très simple, consisterait en une messe, dite par vous, à la chapelle de Saint-Louis, dans la cathédrale même, en compagnie sans doute des principaux membres de l’archiconfrérie de Saint-Jacques et en présence, peut-être même, s’il veut bien y consentir, de S E l’évêque de Madrid, qui se trouvera à ce moment-là à Vigo et que j’inviterai à se joindre à nous  ».

Il écrit au cardinal archevêque de Madrid :

... je crois que ce sera une belle manifestation, quoique modeste, à l’occasion de l’année sainte et une manière, dans le désordre et l’adversité actuels, de reprendre le chemin de Saint-Jacques et l’ancienne coutume de la chrétienté

Début août l’ambassadeur saisit le ministère des Affaires étrangères et fait cette demande :

…. Une cérémonie serait célébrée avec le concours de la confrérie, et je souhaiterais pouvoir offrir à celle-ci un bel objet religieux ou tout autre souvenir un peu important et d’un caractère personnel au nom du Maréchal, sous le signe duquel je placerai ce pèlerinage.

La réponse est la suivante :

Le maréchal Pétain offrira à Santiago un objet en argent, vraisemblablement un ciboire, que vous remettrez lors de votre visite officielle. Le texte suivant serait gravé sur l’écrin :
« offert par le maréchal Pétain à la confrérie de Saint-Jacques de Compostelle le 25 août 1943, fête de Saint-Louis des Français.

Le consulat de France à la Corogne informe l’ambassade le 13 août que :

… l’archevêque estimerait préférable que la remise du cadeau destiné par le Maréchal à la cathédrale se fit par l’intermédiaire du doyen du chapitre et non par celui de l’archiconfrérie.


Premier compte-rendu

La presse espagnole rend compte de la visite de l'ambassadeur de France

Le 27 août 1943, l'ambassadeur rend compte de son voyage aux autorités et écrit :

Les journaux d’Espagne et, comme je le suppose, ceux de France, ont rendu compte de la visite officielle que je viens de faire à Santiago de Compostelle, à l’occasion de l’année dite jubilaire, pour remettre aux mains de l’archiconfrérie et du chapitre de la basilique, l’offrande dont m’a chargé le maréchal…. Cérémonie qui m’a paru servir au maximum notre propagande, par la façon dont les autorités officielles m’ont reçu et traité.

Mais dans la France d’août 1943, ce pèlerinage passe inaperçu et la presse française n'en fait pas mention. Le 31 août, devant ce silence, il écrit :

... j’insiste vivement pour que le Secrétariat à l’information veuille bien faire paraître quelque chose dans la presse française au sujet de l’offrande que j’ai faite à Saint-Jacques de Compostelle au nom du maréchal … Il semble que la presse française n’en ait même pas parlé… Havas OFI a pourtant expédié à Vichy les 24, 25 et 26 août des informations étendues sur ma visite. … Une pareille abstention est fâcheuse et n’est pas de nature à encourager certains efforts.

Et il adresse au chef du gouvernement, (ministre secrétaire d’état aux affaires étrangères) le récit détaillé destiné à l'information en France. L'indifférence de la presse française à ce pèlerinage nous vaut donc ce récit de première main que nous publions ci-dessous.


Le récit de l'ambassadeur

Nous sommes arrivés à Saint-Jacques le 24 août en deux groupes, l’un parti de Saint-Sébastien et qui comprenait, avec moi-même, M. P., commerçant, député de l’église Saint-Louis des Français à Madrid et M. M., représentant la Légion des combattants ; l’autre, parti de Madrid et composé du RP Azhémar recteur de Saint-Louis des Français, de l'attaché naval, du directeur de l’Institut et de mon secrétaire particulier.
Nous avons été reçus, à notre arrivée, par l’Alcade de Saint-Jacques de Compostelle, le président de l’archiconfrérie, le gouverneur militaire, le vicaire général de l’archevêché, le vice-recteur (en l’absence du recteur), deux chanoines du chapitre et enfin un délégué du gouverneur civil de La Corogne, celui-ci étant retenu auprès du Caudillo. Le consul de France à La Corogne et notre agent consulaire à Saint-Jacques, se trouvaient à leurs côtés.
L’Alcade nous a offert un dîner de 24 couverts à l’issue duquel il a porté un toast à la santé du Maréchal et prononcé quelques mots en l’honneur de la France, à quoi j’ai répondu.
Le 25 août, le programme comportait d’abord une messe, dite par le RP Azhémar à la chapelle dite du roi de France. En même temps que les personnalités que j’ai énumérées plus haut et les quelques Français de l’endroit, un nombreux public d’habitants de Saint-Jacques et de pèlerins y assistaient.
Après la messe nous nous sommes rendus processionnellement au maître-autel de la cathédrale, où a eu lieu l’offrande que j’ai faite, suivant le rite, à genoux, au nom du Maréchal, en présence du chanoine magistral du chapitre, qualifié pour la recevoir. L’archevêque de Saint-Jacques, alité, s’était fait excuser et remplacer par son vicaire général.

Le ciboire offert par le Maréchal

Le " calice du Maréchal " (musée de la cathédrale)
Connu sous le nom de "calice du Maréchal", il a été fabriqué par la maison Puyforcat qui n'en a malheureusement aucune trace dans ses archives. Le couvercle prouve qu'il s'agit en fait d'un ciboire. Ce don avait été promis par le Maréchal en 1939, au cours de sa réception par le chapitre et l'Archiconfrérie, dont il avait été fait membre d'honneur, alors qu'il était  ambassadeur de France en Espagne. Il est toujours au Musée de la cathédrale, souvenir des années difficiles pendant lesquelles il était nécessaire mais bien délicat de conserver des relations.